Intervention de
Frédéric Charpentier – Architecte DPLG
dans le cadre de la première journée « Le Plâtre et la Couleur – le Plâtre teinté dans la masse » organisée par le GRPA
Paris, Ile de France et alentours
Autant l’utilisation du plâtre en intérieur est bien connue, autant les façades en plâtres colorés forment un sujet moins documenté. Pourtant elles sont très courantes, nous verrons quelques exemples afin de mieux les reconnaître. Le ravalement au plâtre a connu une certaine éclipse durant la période de l’après-guerre et connaît une renaissance progressive depuis les années 1980.
La raison en est simple : après quelques décennies d’engouement pour des techniques diverses de substitution pour le ravalement (ciment, imperméabilisation de façade, enduits dits « monocouche », mortiers de chaux, etc.), on s’est aperçu :
– que la mise en œuvre des plâtres en extérieur est finalement aisée et durable dans le temps,
– qu’il est possible de vaincre les réticences même celles des entreprises et des maîtres d’œuvre,
– que c’est encore la solution qui est la plus compatible sur les supports anciens de base plâtre,
– que l’emploi de ce matériau restitue le mieux l’aspect initial de l’architecture de plâtre.
Le nombre de façades en plâtre observées et diagnostiquées a permis de faire également le constat de l’emploi assez fréquent du plâtre teinté dans la masse dans la couche de finition. La coloration est ainsi plus durable qu’une teinte pelliculaire dans le sens ou la couleur est figée dans l’épaisseur à contrario d’une finition colorée pelliculaire (peintures, badigeons etc.).Les façades en plâtre sont bien sûr omniprésentes dans tous les centres villes anciens de l’Ile-de-France et parfois dans les grandes villes des départements limitrophes. Les villages anciens et bâtiments ruraux sont également bâtis suivant ce mode de construction. Cela fait appel à la tradition de bâtir des maçons à plâtre antérieure à la Seconde Guerre mondiale. Senlis, Chantilly et même Compiègne (Oise) comprennent des immeubles aux façades enduites de plâtre. On en trouve également à Château-Thierry (Aisne) et au sud jusqu’à Montargis (Loiret). Tout le bâti de la région, antérieur au XXe siècle, qui n’est pas en pierre de taille, est enduit au plâtre, en n’oubliant pas que beaucoup de façades sont en plâtre simulant la pierre de taille. Bon nombre d’immeubles urbains possédant une façade sur rue en pierre de taille, sont bâtis sur cour en enduit plâtre.
Il est parfois difficile pour les néophytes de les identifier car les façades ont souvent été peintes, repeintes, parfois refaites avec des mortiers différents de ceux d’origine. Les couleurs qui prédominent sur les façades d’Ile-de-France sont incontestablement les couleurs de la pierre calcaire régionale allant du blanc cassé au beige moyen, en passant par des nuances de brun, de jaune et de rosé.

En résumé, les façades plâtre concernent :
– L’ensemble des arrondissements de Paris dont les quartiers les plus connus sont bien sûr le Marais, le Quartier Latin ou les anciennes communes : Montmartre, Belleville, Ménilmontant,
– Versailles et toutes les autres communes régionales,
– les anciens pays de l’Ile-de-France : Pays de France, Hurepoix, Etampois, Mantois, Vexin, Orxois, Provinois, Multien, Tardenois, Brie.

L’enduit plâtre est particulièrement adapté au bâti ancien
L’enduit plâtre d’extérieur, fabriqué pour cet usage, est un régulateur d’humidité pour les maçonneries. L’enduit plâtre peut absorber l’humidité de l’atmosphère et la rendre par évaporation sitôt que les conditions s’y prêtent. Les eaux de condensation interne des murs peuvent également s’évacuer vers l’extérieur par séchage naturel. Ainsi on a pu dire que l’enduit plâtre laissait « respirer et transpirer» les maçonneries. Son aspect fin (plâtres comportant très peu de charges minérales) avec ses finitions coupées ou poncées (stuc brique, stuc pierre) donnent aux façades d’immeubles un aspect historiquement bien spécifique, très fin et peu comparable aux enduits talochés de ciment ou de chaux.
Coloration dans la masse de l’enduit intérieur ou extérieur d’Ile-de-France. Sur la trace des ocres et autres pigments minéraux
Les enduits colorés les plus fréquents sont les simili pierres allant du blanc cassé au jaune prononcé. Les rouges, allant du rose au rouge soutenu, se rencontrent également un peu partout en Ile-de-France, dans les bourgs comme dans les grandes villes, le plus souvent sous forme de parements en simili brique. La bichromie jaune et rouge ou plutôt simili pierre et simili brique est finalement très courante dans la région. L’un des premiers stuc brique connu à Paris est probablement celui de la place des Vosges au XVIIe siècle. Ces coloris et ces techniques décoratives de maçonnerie au plâtre, avec de nombreuses variations de nuances, se répandront à Versailles aux siècles suivants. Les enduits gris, de clairs à soutenus, sont également courants pour les façades bi-chromes avec des modénatures claires et des tapisseries en plâtre gris. Le gris foncé, voire le noir sont également utilisés pour les croisées de fenêtres en trompe l’œil.


L’observation des couches colorées de finition, appliquées sur une couche de dégrossi, montrent que le pigment utilisé est relativement fin et correspond à l’aspect du plâtre mélangé à des pigments minéraux, similaires aux recettes de mélanges actuels. M. Bernard Laurent (97 ans en 2001) ayant débuté le métier de maçon à plâtre dans les années 1920, dans la tradition paternelle, m’avait d’ailleurs expliqué qu’il employait de l’ocre rouge de Bourgogne avec le plâtre pour réaliser les décors en fausse brique.
Pour réaliser des enduits pâles à très moyennement colorés, il est aussi possible de teinter le plâtre avec des poudres minérales comme la chamotte et certains sables colorés (poudres de marbre, ardoises). Ces pigments donnent une très grande stabilité de teinte dans le temps. Toutefois dès qu’une teinte moyenne à soutenue est recherchée, un pigment minéral est requis en raison de sa puissance de coloration et de sa tenue dans le temps.

Les pigments les plus utilisés depuis la préhistoire, sont notamment les ocres, du grec ancien ὤχρα / ốkhra. Par ailleurs le plâtre peut être teinté avec d’autres pigments minéraux comme les terres, certains oxydes, les noirs d’ivoire, de vigne etc. Les pigments synthétiques de plus en plus connus, sont constamment améliorés et sont très utilisés aujourd’hui. Les teintes jaune et rouge que l’on trouve associées en façade font immédiatement penser à l’utilisation de pigments issus de gisements d’ocres.
Le document le plus ancien que nous connaissons sur les gisements d’ocre est peut être celui de Pline l’Ancien (-79 après J.-C.). Ce naturaliste romain avait connaissance de l’industrie de l’ocre en Gaule dans le Berry. Mais c’est en Provence (région d’Apt) et en Bourgogne (région de la Puisaye) que son exploitation a été la plus rentable et la plus longue.
L’ocre est donc très présente en France : Berry, Puisaye, Drôme, Dordogne, Pays de Caux, Pas-de-Calais, Ardennes et Provence. Je n’ai pas noté l’existence de mines d’ocre en Ile-de-France. La production de l’ocre relève généralement d’un savoir-faire et d’une corporation minière. Par contre concernant les ocres du Berry et de Bourgogne, l’importation en région parisienne est clairement mentionnée dans les ouvrages historiques traitant de ce matériau.
Aux XVIIe, XVIIIe ou XIXe siècles, nous considèrerons comme hypothèse hautement probable et techniquement réaliste, que pour teinter des plâtres de la région pendant plusieurs siècles, avec des nuances de jaune et de rouge, il faut que l’ocre provienne d’un bassin de production spécifique en grande quantité. Les teintes de gris et de noir procèdent de la même logique.
Il est important de signaler que jusqu’au XVIIe siècle (et même une bonne partie du XVIIIe siècle), lorsqu’en France on parlait de l’ocre et de ses applications, il ne pouvait s’agir que de l’ocre de Saint-Georges-sur-la-Prée (Cher) qui approvisionnait à elle seule toute la demande en ocre du territoire. Sur la commune de Bitry (Nièvre), des traces d’exploitation d’ocre sont avérées dès le XIVe siècle.

Dépôt d’ocre rouge. Conservatoire des Ocres du Roussillon

Stuc pierre d’intérieur, plâtre coloré avec joints en plâtre blanc. Réalisation in situ des décors linéaires moulurés en stuc pierre
Quand la production de Puisaye, dite parfois de Bourgogne, démarra de façon notable vers la fin du XVIIIe siècle, on commença à extraire de l’ocre sur la commune de Pourrain (Yonne), pour l’expédier à Paris, soit à dos d’âne, soit par eau, puis par chemin de fer. D’autres exploitations se fondèrent à Diges, Sauilly, Toucy et Parly (Yonne). Cette industrie se développa énormément au XIXe pour décliner vers les années 1930 (production en 1783 : 100 à 120 tonnes/an – en 1832 : 1 000 tonnes – en 1880 : 20 000 tonnes).
Les recherches scientifiques de Jean-Marie Triat montrent l’extrême complexité pour définir la formule minéralogique et chimique des ocres. En fait, un des meilleurs critères est organoleptique (apparence, texture…) : l’ocre tache les doigts. Cette caractéristique est due à la très petite taille des minéraux (argile et oxydes de fer) qu’il contient. Le nom minéralogique de l’ocre jaune est la goethite, celle de l’ocre brune est la limonite et celle de l’ocre rouge naturelle est hématite.
La préparation de l’ocre tirée de la mine exige trois opérations après extraction : séchage, broyage et tamisage. Le chauffage des pigments permet également d’obtenir une grande variété de nuances. Ainsi, après chauffage vers 230° C, l’ocre jaune devient progressivement brune. Entre 230° C et 250° C, l’ocre devient rouge vif (ocre rouge artificielle). Au-dessus de 800° C l’ocre rouge prend une teinte violacée ou pourpre, puis au-dessus de 1000°C elle devient noire.
La non-toxicité des ocres autorise leur emploi dans toutes sortes de techniques (huile, aquarelle, acrylique, pastel, tempera, fresque). Elles sont compatibles avec tous les liants minéraux (chaux, ciment, plâtre), les colles naturelles, les graisses animales, les huiles végétales…, et avec les autres pigments.
Les ocres étaient vendues à usage des peintures et de la maçonnerie où elles entraient dans la composition des crépis, dalles et mosaïques. A Paris, les réseaux de distribution sont ceux de la corporation des épiciers, droguistes, marchands de couleurs, où les ocres se vendent au détail ou en gros. Mais l’ocre est surtout employée dans le bâtiment. En effet « L’ocre de toute espèce s’emploie dans la peinture… [et] pour colorer les carreaux des appartements. Mêlée avec du mortier, non seulement elle colore, mais endurcit le crépi et l’attache plus fortement à la muraille », citation provenant d’un rapport de M. Lavollée en 1828.
L’’ocre rouge était vendue sous le nom de Rouge de Prusse, d‘Hollande, d’Angleterre, d’Italie et même Rouge Indien !

Les mouchetis de plâtre
A différentes périodes, les maçons ont mis en œuvre des enduits de finition colorés sous forme de mouchetis. Cette mise en œuvre à l’intérieur des tapisseries de façades a été employée pendant plusieurs siècles. Cette finition était réalisée sur une couche le dégrossissage à l’aide d’un balai fait de branches fines de bouleau ou de genêts. La couche d’enduit coloré représentait souvent quelques millimètres à un centimètre. Le maçon utilisait le balai pour donner à la couche de finition un aspect moucheté, soit sous forme de jetis fouetté.



Les enduits simulant la pierre et stucs pierre extérieur
Les enduits simulant la pierre, teintés dans la masse, sont souvent colorés d’un peu d’ocre jaune. Cela donne des teintes allant du beige clair au jaune plus prononcé. L’idée étant sans doute de donner à voir une évocation de pierre calcaire fine, de la couleur de la craie au calcaire de teinte plus soutenue.
Certains enduits plus élaborés, que je qualifierais de stuc pierre, contiennent également un appareil de pierre de taille simulé avec des joints fins blancs gris ou bien des joints creux. Le stuc pierre était réalisé avec des plâtres très durs, teintés dans la masse, additionné souvent de colle animale (uniquement en intérieur), de différentes charges minérales suivant l’aspect que l’on souhaitait donner. Les joints sont creusés après enduisage puis remplis avec un plâtre blanc très fin, puis le tout est poncé. En intérieur, le stuc pierre a été très employé dans les halls d’entrée d’immeubles parisiens. Les teintes de ces stucs pierre sont souvent plus élaborées et comportent des mélanges de plusieurs pigments, des poudres et des agrégats.



Les stucs brique


Sable et coloration
On entend par sable, tout ce qui est entre l’impalpable (en-dessous de 80 µ) et 5 mm. Au-dessus, c’est du gravier (5 mm à 200 mm). Les sables que l’on mélange usuellement dans les mortiers peuvent être de différentes natures, en particulier siliceux ou calcaires. Les sables peuvent colorer les enduits. Ils ont deux modes d’action :
La couleur des gros grains forme une trame colorée qui, vue à distance, donne une couleur globale à l’enduit, les fines colorent le liant ce qui donne une couleur uniforme de la pâte entre les grains.
Les fines jouent un rôle très différent de celui des granulats (argile, contre-silice ou calcaire). Ainsi un sable de carrière très coloré, mais « propre », aura tendance à moins teinter un enduit qu’un sable « sale » (c’est à dire qui, frotté sur un linge, le salit). Par contre, il faut se souvenir qu’un sable trop sale (c’est à dire souvent trop riche en fines argileuses) peut créer des désordres. Cela est différent concernant les poudres de marbre de couleur qui ne contiennent pas d’argile. Si l’on choisit et dose le sable uniquement en fonction de la couleur que l’on souhaite et que sa proportion est trop importante, le mortier obtenu est généralement médiocre voire mauvais.

La coloration naturelle des façades plâtre
Au fil des décennies, les façades enduites au plâtre voient la teinte de leur parement prendre une coloration. Les jaunes clairs deviennent plus soutenus, les plâtres blancs à l’origine prennent des teintes variant du gris au beige jaune ou rosé. Cette teinte semble dépendre des compositions minérale du gypse ayant servi à réaliser le plâtre.
Dans la région du Tardenois, dans plusieurs communes du secteur de Fère-en-Tardenois (Aisne), les plâtres anciens pouvant dater au plus tard du début du XIXe siècle semblent naturellement devenu rosés. Cette teinte ne peut être confondue avec un ajout de pigment ou bien une peinture car lorsque l’on découpe une tranche d’un tel enduit, il est blanc, massif, sans couche superficielle, et l’enduit s’est seulement coloré à la surface, sur quelques dixièmes de millimètres d’épaisseur.
Photos Google Maps
La coloration en surface des plâtres. Emploi des peintures
Par le simple fait de sa faible épaisseur, la coloration en surface est moins durable que celle des enduits teintés dans la masse. Le principe de la peinture est en effet de fixer sur le subjectile des particules de pigments et ses charges au moyen d’un liant.
Bibliographie
– Dom Bénigne Defarge, L’Ocre et son Industrie en Puisaye, géologie et histoire, Association d’études et de recherches du Vieux Toucy, 1968.
– Vincent Tripard, Ocres et peintures décoratives de Provence, Edisud, 2000.
– Frédéric Charpentier et Virginie Stelmach, « Précieuse Mémoire, interview de Bernard Laurent ancien maçon-plâtrier », revue Maisons Paysannes de France n°142.
– Marc Potin, Encyclopédie du plâtre, site Internet Platre.Com.
– Jean-François Bertoncello et Julien Fouin, Les matériaux Naturels : décorer, restaurer et construire, Editions du Rouergue, 2006.
– Jean-Charles Guillaume, Une industrie rurale, le travail de l’ocre dans l’Auxerrois, 1763-1966, Editions de l’Armançon, 1997.
– Jean-Marie Triat, Les Ocres, CNRS Editions, 2010.
– Toussaint, Nouveau manuel du Maçon-Plâtrier, Manuels Roret, 1841.
– Félicien Carli, Les ocres, comment et où les produit-on ?, Les Cahiers des Terres et Couleurs, 2015.
– Christophe Guégan, Hervé Batistelli, « Chantier référence. Retrouver la façade d’origine », revue GPPF, 2004.
– François Virolleaud, « Le ravalement par et pour les parisiens », Paris Historique n° 88.
– Les Compagnons du Devoirs Plâtriers Staffeurs et Stucateurs, Encyclopédie des Métiers. Le plâtre, le staff et le stuc.
– E. Bataille, Les manuels professionnels pour le peintre vitrier, Dunod, 1948.
– G. Leriche, Ocrerie de l’Yonne à Auxerre, L’industrie de l’Ocre, 1927.